Le domaine de GRIGNON, menacé d’être vendu par l’Etat au PSG et au QATAR n’est pas seulement un joyau naturel admirable et un haut lieu de la science. C’est aussi un lieu d’Histoire. Il doit demeurer fidèle à ses riches patrimoines, c’est-à-dire construire son avenir en l’enracinant dans son glorieux passé. Pas en l’effaçant sous des terrains de football ou les bains à bulles d’un palace privé !
Le domaine de GRIGNON, menacé d’être vendu par l’Etat au PSG et au QATAR n’est pas seulement un joyau naturel admirable, un haut lieu de la recherche scientifique ou un site géologique unique. C’est aussi, avec son château Louis XIII, un lieu d’Histoire. Plusieurs pages de celle-ci, grande ou petite, s’y écrivirent. Tel le mariage de l’un des plus grands soldats du 1er Empire, le Maréchal Ney.
En 1930, la Librairie versaillaise Mercier consacrait à cet évènement un « joli petit livre tout plein de renseignements à peu près ignorés et singulièrement suggestifs » selon les termes de son préfacier : l’ouvrage, intitulé « Un grand mariage au temps du Consulat » et sous-titré « Le mariage de NEY au château de GRIGNON » était signé par Georges Mauguin, un ancien officier.
Ecrit dans le style savoureux de l’époque, l’ouvrage regorge de plaisantes anecdotes et de précieuses descriptions du domaine à l’époque du mariage de celui que Napoléon avait baptisé « le Brave des Braves » et que les historiens nomment toujours « l’Achille français ».
Napoléon, on le sait, était « un grand marieur ». Il aurait voulu, comme nous le rappelle le préfacier de ce livre, « que tous les jeunes gens qui l’entouraient fussent solidement établis dans la vie régulière » et c’est lui qui décida du mariage de son fidèle général avec Louise Aglaé Auguié, amie intime de sa belle-fille, Hortense de Beauharnais.
Le mariage civil fut célébré le 17 Thermidor an X (5 août 1802) à la mairie de Thiverval. Le maire de la commune, un dénommé Aubusson, aurait également pu bénir l’union des époux puisque quelques années plus tôt, avant la Révolution, il avait été curé de la paroisse…
Ce fut cependant l’abbé Bertrand, un proche de la mariée, qui officia pour le mariage religieux, célébré dans la chapelle du château de Grignon.
Car, nous rapporte Monsieur Mauguin, la mariée était la « fille distinguée et charmante du châtelain de GRIGNON »
Ledit châtelain, Pierre César Auguié, ancien receveur général du duché de Bar et de Lorraine, puis munitionnaire général des vivres de l’armée, avait acheté le château de Grignon le 26 juillet 1796 « avec ses glaces, les potagers, le parc et 160 arpents de terres labourées » pour la somme de 78.115 francs payés, non en assignats mais « en pièces d’argent ci-devant monnoie, dites écus de 6 livres et en même monnoie pour appoint. »
Et c’est ainsi que le mariage de sa fille fut célébré dans la chapelle alors située dans l’aile gauche du château, et restaurée pour l’occasion.
Monsieur Mauguin nous offre une description mêlant observation contemporaine et reconstitution historique, de ce château « bâti au dix-septième siècle, au sud et à petite distance du rû de GALLY, qui coule vers l’ouest, escorté de peupliers bruissants. », « abrité des vents humides par une longue colline dont les pentes douces, entre GRIGNON et THIVERVAL, sont revêtues des ombrages du parc. ». Il évoque aussi l’allée de tilleuls « de 1.800 mètres » qui « relie les deux hameaux et sépare le parc des cultures, prairies et bois du vallon. »
Il poursuit :
« De vertes pelouses s’étendent devant la façade principale entre deux longs bâtiments en matériaux également mixtes (briques et pierres) qui servaient aux communs.
Au Sud-Est de l’un d’eux étaient la grande basse-cour et la ferme intérieure, tandis que du côté opposé se trouvait le parc.
Le rez-de-chaussée du corps du bâtiment central forme un vaste vestibule, dont les portes, maintenant rétrécies, permettaient aux carrosses d’accéder et aux invités de gagner à couvert le grand escalier d’honneur, qui monte aux appartements et pièces de réception du premier étage, orné de belles boiseries.
Des pavillons carrés et en saillis, qui encadrent la façade, partent deux ailes terminées par des pavillons semblables ; la cour intérieure est ainsi fermée sur trois côtés.
Les larges chaussées, qui entouraient le château, asséchées et utilisées comme potagers et vergers, ont été comblées en partie.
Ils étaient franchis dans le prolongement des entrées du vestibule par deux ponts de pierre ; il ne reste, fermé d’une grille, que celui du Nord-Est, donnant sur la campagne.
Des quatre tourelles d’angle en encorbellement, il ne subsiste que celles qui surveillent les directions de POISSY et de SAINT-NOM LA BRETECHE.»
Revenant à l’objet de son étude, Monsieur Mauguin nous rapporte ensuite la « brillante fête que la belle saison permettait de faire dans le parc » et qui succéda à la cérémonie. Pour ce faire, il emprunte la description à des sources antérieures :
« Des guirlandes de feuillage fleuries tombaient de la voûte et tapissaient les murs ; partout des bougies au milieu de fleurs amoncelées et, dans la tribune, une musique militaire venue tout exprès, par les soins de NEY.
A droit de l’hôtel, on pouvait voir le Général en grande tenue, ayant aux côtés le sabre égyptien que venait de lui donner le premier Consul ; puis sa jeune épouse, fort jolie dans sa toilette blanche et son voile retenu par une couronne de roses ; à gauche un bon vieux et une bonne vieille, en cheveux blancs et habillés de neuf selon la mode du pays ; c’était deux domestiques de la ferme du château qui, après cinquante ans de mariage, renouvelaient leur union en même temps que NEY célébrait la sienne. Le Général avait désiré qu’il en fut ainsi : ce couple avait-il dit, me rappellera la modestie de mon origine, et ce renouvellement d’une longue union, sera d’un bon augure pour la mienne.
Il avait pourvu à l’habillement du berger et Eglé, voulant contribuer à cette bonne œuvre, avait habillé à ses frais la vieille paysanne.
Dans la soirée, une comédie de circonstance fut jouée par les deux sœurs de la mariée, Antoinette et Adèle, leurs cousines Alexandrine PANNELIER et le Général SAVARY, sur un théâtre dressé au milieu du jardin anglais ; puis la musique militaire se fit de nouveau entendre, un chœur de villageoises chanta les louanges de la jeune épousée, et des transparents, placés au fond des allées ombreuses du parc, retraçaient en sillons lumineux quelques faits d’arme du Général.
Sur l’invitation et sous la conduite d’un paysan, toute la noce se dirigea au fond des bois, vers une petite cabane où habitait une fort vieille femme qui, connaissant les secrets de l’avenir, prédit à tous bonheur, honneurs et prospérité. La diseuse de bonne aventure était Madame CAMPAN, le paysan, Isabey, qui avait organisé la fête avec une maestria incomparable.
Au son d’un orchestre installé sur l’emplacement où la comédie avait été représentée, le Général et Eglé, ouvrirent le bal avec les deux vieillards, qui, ravis et rajeunis par toute cette gaité, dansaient en se rappelant leur jeune temps. Les habitants du hameau avaient été conviés à un feu d’artifice tiré dans le parc, puis les danses recommencèrent jusqu’au matin par une superbe nuit d’août, parfumée de l’odeur des bois, des près et des fleurs, au milieu des éclats de rire, de la jeunesse assemblée et des accords de la musique qui se répercutaient au loin, dans la vallée, jusqu’au village de THIVERVAL »
Cette noce étincelante, à laquelle avait assisté Hortense de Beauharnais, fut aussitôt le sujet de conversations animées et louangeuses à la Malmaison et, longtemps, on en parla dans le monde comme une des plus jolies fêtes qui se put inventer.
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Mais ne nous y trompons pas : l’ouvrage de Monsieur Mauguin ne constitue pas seulement un plaisant témoignage de l’évènement auquel il est consacré ; il comporte également, en introduction et en conclusion, des observations sur Grignon qui frappent par leur vibrante actualité au moment où le domaine est menacé d’être bradé par l’Etat.
Des observations que les décideurs publics seraient bien inspirés de méditer avant de commettre l’irréparable.
Ainsi, en ouverture de son propos, Monsieur Mauguin livre une remarque aussi pertinente au temps de son écriture qu’elle l’est aujourd’hui :
« L’Ecole Nationale d’Agriculture de GRIGNON fait toute l’importance de la commune de THIVERVAL dont elle dépend. »
Et, en conclusion, dans un chapitre en forme de post-scriptum intitulé « Quelques réflexions suscitées par le mariage de NEY en SEINE-ET-OISE », il nous livre cette péroraison pleine d’enseignements :
« Que notre excursion au château de GRIGNON, au temps du Consulat, ne soit pas seulement un prétexte à renouer le fil des jours, mais encore à réfléchir. Qu’on nous pardonne donc nos échappées : elles nous ont permis d’éprouver quelques instants de plus combien « le passé fait la saveur du présent », et d’apprécier davantage le retour à l’enchantement d’une région si évocatrice d’histoire.
Nulle partie de la France n’offre de retraites à la fois aussi paisibles et aussi fécondes en méditations, tout en étant aussi proches cependant du foyer attractif et brûlant de Paris »
Puissent nos dirigeants saisir toute la force de ces deux profondes observations et permettre à GRIGNON de demeurer, à proximité du « foyer attractif et brûlant de Paris », un lieu de savoir, de recherche et de réflexion, plutôt que de devenir un centre d’entrainement du PSG ou la résidence « de prestige » de ses propriétaires.
Thiverval-Grignon, « retraite paisible et féconde en méditations » doit demeurer fidèle à la science et à la culture. C’est-à-dire construire son avenir en plongeant ses racines dans son passé.
Pas en l’effaçant sous les terrains de football ou les bains à bulles d’un palace privé !